Les barriques de chêne américain – Episode 1 : De l’exploitation forestière chez l’Oncle Sam

Les barriques de chêne américain – Episode 1 : De l’exploitation forestière chez l’Oncle Sam

Les chênes sont exploités dans diverses régions du monde pour produire des tonneaux, en particulier en Europe et aux États-Unis. Mais il existe des différences fondamentales dans la manière dont les forêts sont gérées, ce qui peut avoir des conséquences à long terme sur la qualité des matériaux et la durabilité de l’industrie.

Aux Etats Unis, le chêne blanc – Quercus Alba – est exploité pour alimenter l’important segment de production de fûts de bourbon, qui eux-mêmes alimentent le marché colossal de la barrique usagée dont bénéficient depuis longtemps les autres catégories de spiritueux . Comment sont gérées les forêts de chêne blanc, quelles sont les caractéristiques de cette espèce ? Comment répondre à la demande croissante de l’industrie du Bourbon ? Le marché des barriques est-il sous tension ? Lumières sur la transformation du chêne blanc américain, à la source de la majorité des spiritueux vieillis dans le monde

Dans deux précédents articles que vous pouvez retrouver sur notre site Episode 1 et Episode 2, nous nous sommes attachés à décrire deux espèces de chêne exploitées en Europe pour la production des barriques, à savoir le chêne pédonculé – Quercus robur – et le chêne sessile ou rouvre – Quercus petrae. En fonction de la taille des grains, les barriques sont destinées à la production de vin – grain fin – ou à la production de spiritueux – gros grain (même si aujourd’hui, le grain fin entre aussi dans le schéma d’élevage des spiritueux). Ces deux espèces ont une croissance lente, et il faut plus de 150 ans pour obtenir des grumes de qualité destinées à la production des barriques.

Aux Etats Unis, c’est le chêne blanc – Quercus Alba – qui est exploité pour la production de fûts destinés à l’élevage des spiritueux- majoritairement bourbon –  mais aussi des vins. Le chêne blanc peut produire tous les types de grains, d’extra fins à gros.  Il pousse plus vite que ses deux homologues européens et est exploitable dès l’âge de 80 ans.

Pour mieux comprendre cette filière du chêne américain, nous nous sommes rendus dans le Kentucky, patrie du bourbon, à l’invitation du groupe américain « Independent Stave Company”. Ce groupe familial est l’un des plus importants producteurs de merrains et de barriques dans le monde. Brad Boswell, 4ème génération du nom, dirige le groupe propriétaire de 9 merranderies aux USA (bientôt 11) et d’une merranderie en France dans les Vosges, ainsi que de 4 tonnelleries aux USA, 2 tonnelleries en France, une en Irlande, une  au Chili et une en Australie.

Chêne Européen et chêne américain, des espèces et une gestion des forêts différentes

Afin de répondre aux exigences techniques de la production et de maximiser leur rendement, les fabricants de barriques recherchent principalement des grumes (le tronc de l’arbre abattu, débarrassé de ces branches) droites et avec un minimum de nœuds.

En France, les forêts de chêne sont gérées depuis plusieurs siècles afin d’assurer une production de grumes de qualité, à l’époque pour la construction des bateaux et des édifices, aujourd’hui pour la production de parquets et de merrains. Les peuplements de chêne sont conduits sous futaie, pratique qui consiste à maintenir une concurrence en bas étage par des peuplements assez denses, obligeant ainsi les arbres à monter en hauteur pour rechercher de la lumière. Les chênes développent alors moins de branches latérales, lesquelles induisent la production de nœuds et dévalorisent la qualité des grumes. Un critère essentiel pour la fabrication des barriques.

Aux États-Unis, la situation est très différente. Beaucoup de forêts sont encore qualifiées de sauvage (« wild forests »), c’est-à-dire qu’elles ne sont pas à proprement parlé « cultivées » ou « gérées ».




Dans l’Ouest du pays, 75% des surfaces forestières appartiennent au gouvernement américain (National Forests), contre 5% dans l’Est. Les propriétaires privés se limitent à opérer des coupes tous les 20 ans des grumes les plus intéressantes, sans pratiquer une véritable sylviculture de ces peuplements. Or, les interventions entre les coupes permettent d’augmenter la densité du chêne blanc à l’hectare, d’éviter le développement d’espèces très compétitives telles que l’érable rouge, et de limiter les feux de forêts. Jeffrey Lewis, agent forestier qui travaille étroitement avec le groupe ISC nous explique que dans les forêts non gérées, le chêne blanc occupe 20 à 25% de l’espace forestier, alors qu’il en couvre 40 à 45% dans les forêts gérées. Fort de ce constat, le gouvernement américain finance des programmes d’accompagnement pilotés par des universités dans les différents Etats et des groupes indépendants tels qu’ISC.

Jeffrey explique également que jusqu’à très récemment, il n’existait pas de réel programme de formation pour les futurs forestiers. Les connaissances pour une gestion durable des forêts, d’un point de vue écologique comme économique, étaient difficilement accessibles pour les propriétaires, qui bien souvent ne sont pas sensibilisés aux problématiques de sylviculture. Les forêts ne sont vues que comme un placement financier qui ne rapportent que sur l’achat-vente des parcelles elles-mêmes ; aucun bénéfice n’est attendu à l’usage.

Le groupe ISC a décidé d’adresser cette problématique en offrant son expertise aux propriétaires de parcelles forestières. En collaboration avec des universités, une équipe spécialisée en agroforesterie est disponible pour les accompagner et les éduquer sur une gestion responsable de leur forêt, afin d’une part d’augmenter leur rendement en chênes exploitables, et d’autre part de réduire le nombre d’espèces invasives, de réduire les risques d’incendies, et de maintenir la bonne santé générale de leurs parcelles. Ce modèle, qui se veut un échange « gagnant-gagnant », est considéré par Jeffrey Lewis comme une garantie de la pérennité de l’industrie. Si la disponibilité en chêne ne devrait pas faire défaut à moyen ou long terme, c’est l’exploitation même des forêts qui l’inquiète. Il mentionne également la difficulté à trouver de la main d’œuvre pour les activités d’abattages : il reste peu de bûcherons, après plusieurs décennies à dévaloriser les travaux dit manuels, aux États-Unis comme ailleurs.

On estime que le chêne blanc occupe 12 millions d’ha de forêts aux USA.

« On estime que le chêne blanc occupe 12 millions d’ha (30 millions acres) de forêts aux USA. »

Le chêne américain, une espèce utilisée majoritairement dans les spiritueux

Un cerne de croissance correspond à l’évolution de l’arbre sur une année, et la taille des grains correspond à la largeur des cernes de croissance. Les conditions pédologiques (richesse du sol) mais aussi les conditions climatiques (pluviométrie et températures annuelles), les pratiques sylvicoles (par exemple, peuplement dense ou peuplement ouvert, fonction des éclaircies réalisées) ou encore les accidents climatiques sont autant de facteurs déterminants pour la largeur des cernes. Plus l’arbre grandit vite, plus les cernes sont larges et le grain plus gros. Le mérandier va classer les grumes non pas en fonction de l’espèce dont elles proviennent mais en fonction de la taille des grains, pour constituer des lots les plus homogènes possibles (la taille des grains n’étant pas véritablement une caractéristique de l’espèce, contrairement aux idées reçues). Le chêne américain contient moins de tanin que le chêne français. Son avantage réside surtout dans l’apport aromatique qu’il transmet lors de l’élevage par la dégradation de ses composants lors des différentes chauffes.

« Le chêne américain contient moins de tanin que le chêne français. Son avantage réside surtout dans l’apport aromatique qu’il transmet lors de l’élevage par la dégradation de ses composants lors des différentes chauffes. »

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