Enquête sur les spiritueux sans alcool
Les « spiritueux » sans alcool ou à faible teneur en alcool constituent une nouvelle catégorie de boissons à croissance rapide qui gagne de plus en plus d’adeptes parmi les consommateurs européens, mais également dans d’autres parties du monde. Nous examinons cette catégorie et passons en revue les différentes méthodes de production ainsi que la législation ou les recommandations en matière d’étiquetage.
Les « spiritueux » sans alcool ou à faible teneur en alcool ont connu un essor fulgurant ces dernières années, devenant une catégorie à laquelle l’industrie s’intéresse de plus en plus. Les nombreux produits lancés ces dernières années illustrent la capacité de l’industrie européenne des spiritueux à accélérer l’innovation et à répondre à la demande des consommateurs en élargissant le choix des produits proposés.
Les « spiritueux » sans alcool (généralement moins de 0,5 % d’alcool par volume) et à faible teneur en alcool (< 1,2 % d’alcool par volume) ne sont pas (encore) définis légalement par une législation européenne spécifique. Toutefois, en règle générale, ils ne contiennent pas d’alcool, ou ont une teneur en alcool inférieure à 1,2 %
Les définitions des « spiritueux » sans alcool peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre et l’utilisation du mot « spiritueux » en soi peut être source de confusion pour les consommateurs. La tentation de les comparer à leurs homologues alcoolisés ne joue pas nécessairement en leur faveur, c’est pourquoi certains producteurs ont tendance à s’écarter des règles et normes conventionnelles en matière d’étiquetage et de présentation.
Les boissons à faible teneur en alcool, une catégorie en pleine expansion
L’IWSR prévoit que « le volume des boissons « sans alcool et à faible teneur en alcool » augmentera de +8 % TCAC (taux de croissance annuel composé) entre 2021 et 2025, par rapport à celle des boissons alcoolisées estimée à +0,7 % TCAC au cours de la même période ». La bière et le cidre représentent la part la plus importante des « sans alcool » (avec 75 % de part de volume), la bière sans alcool devant générer une croissance de plus de +11 % TCAC entre 2021 et 2025. Les RTDs (Ready to drink) sans alcool et les spiritueux devraient tous deux afficher une croissance en volume d’environ +14 % TCAC. En ce qui concerne la catégorie vin, le rapport prédit une évolution différente pour les vins à faible teneur en alcool (20% en TCAC entre 2021 et 2025) et les vins sans alcool (9% d’évolution), car le le goût du vin à faible teneur en alcool est perçu par de nombreux consommateurs comme étant supérieur à celui du vin sans alcool.
La modération est le moteur principal de la croissance de la consommation de boissons sans alcool ou à faible teneur en alcool. Selon une nouvelle étude d’IWSR, 43 % des adultes interrogés sur différents marchés cibles déclarent qu’ils consomment des boissons sans alcool ou à faible teneur en alcool en remplacement de boissons alcoolisées lors de certaines occasions, sans s’abstenir complètement de consommer de l’alcool.
Comment sont fabriqués les spiritueux sans alcool ?
Nous avons répertorié cinq techniques qui permettent de produire des spiritueux à faible teneur en alcool ou sans alcool.
1. Par distillation
La distillation ne concerne pas uniquement la production d’alcool. La définition du dictionnaire la décrit comme un processus de purification par ébullition suivi de la condensation de la vapeur dans un autre récipient.
L’eau est également distillée, pour toute une série d’applications. Par conséquent, l’utilisation du terme « distillé » pour décrire un « spiritueux » sans alcool ou à faible teneur en alcool est possible, à condition que le processus de fabrication du produit implique une distillation.
1.1 Distillation d’un alcool ou spiritueux
Le choix le plus évident pour produire des boissons sans alcool est de distiller un spiritueux tel que du gin, du whisky, de la tequila ou du rhum. En distillant, on concentre l’alcool mais aussi les arômes. Toutefois, le processus peut être inversé en utilisant un équipement de distillation équipé d’une colonne de séparation où l’alcool est éliminé et les arômes sont séparés du mélange par distillation fractionnée. L’alcool s’évaporant facilement, il peut être éliminé lors de la distillation tout en préservant les arômes, qui se retrouvent alors dans la phase aqueuse. Certains arômes, par exemple les plus volatils, sont toutefois perdus au cours du processus de redistillation. En effet, ils se lient plus ou moins aux molécules d’alcool ou d’eau en fonction de leur affinité avec certains composants du mélange et ont des volatilités très différentes (ils peuvent être plus ou moins légers).
La distillation sous vide ou basse pression, très pratiquée pour la production de vins sans alcool, permet de mieux préserver l’intégrité des arômes.
La distillation d’un spiritueux est une option intéressante lorsqu’il est difficile de reproduire certaines notes aromatiques sans disposer de la base alcool. C’est le cas des arômes propres aux spiritueux vieillis.
Depuis une quinzaine d’années, la société belge Univers Drinks s’est spécialisée dans la production de boissons sans alcool, allant des « vins » pétillants et tranquilles aux cocktails et spiritueux sans alcool. Elle est devenu l’un de leaders sur le marché européen. Univers Drinks commercialise trois produits sous la marque « Pure Zero », qui sont du gin redistillé, de l’Amaretto et du whisky.
« La distillation d’un spiritueux est une option intéressante lorsqu’il est difficile de reproduire certaines notes aromatiques sans disposer de la base alcool. C’est le cas des arômes propres aux spiritueux vieillis »
1.2 Distillation de l’eau et production d’un hydrolat
Dans ce cas, les différents ingrédients (botaniques….) sont ajoutés à de l’eau et l’ensemble est mis à chauffer dans un appareil de distillation du type « vase florentin ». Cela permet de concentrer les arômes. La technique est similaire à celle utilisée pour la production d’huiles essentielles – comme l’extraction de l’huile de lavande ou de géranium – par les parfumeurs.
Pour éviter tout goût de brûlé – l’eau s’évapore à 100°C alors que l’éthanol s’évapore à 78°C – on peut aussi réaliser cette distillation à basse pression. La température d’ébullition est alors plus basse, entre 40 et 50°C.
Signalons néanmoins que la marque française sans alcool Djin réalise une chauffe et distillation à haute pression (120°C), selon une technique éprouvée. Ce petit atelier de production produit quelques produits bio sans alcool dénommés « Esprit de plantes sans alcool »
Bax Botanics, un producteur du Royaume-Uni, utilise des alambics traditionnels en cuivre, semblables à ceux utilisés pour la production d’huiles essentielles et d’hydrolats.
Lorsque cette technique est utilisée, le produit final ne contient généralement pas d’alcool et peut être commercialisé en tant que boisson sans alcool.
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« Pour la production d’un hydrolat, les différents ingrédients sont ajoutés à de l’eau et l’ensemble est mis à chauffer dans un appareil de distillation du type « vase florentin qui concentre les arômes »
3. L’osmose inverse
Ce procédé permet de séparer l’alcool des autres composés résiduels à l’aide d’une membrane partiellement perméable. On applique sur le mélange une pression supérieure à la pression osmotique de l’alcool, ce qui permet d’obtenir un perméat. Cette technique est principalement utilisée par les brasseurs et les viticulteurs, par exemple lors d’années très chaudes, lorsque les niveaux d’alcool dans les vins sont trop élevés et qu’il est nécessaire de réduire leur teneur en alcool.
Toutefois, cette technique ne permet qu’une désalcoolisation partielle et doit être couplée à une distillation pour être plus efficace.
4. Colonne à cône rotatif (SCC – Spinning Cone Column)
Cette technologie a été développée par la société australienne Flavourtech et suit le principe de l’évaporation sous vide ou de la distillation à froid Elle permet de séparer l’alcool des composés les plus volatils tels que les arômes.
Elle s’effectue en deux étapes :
- La première étape consiste à faire passer sur une colonne équipée de cônes rotatifs le liquide dont on veut extraire les arômes. Sous l’effet de la force centrifuge, le liquide forme des couches très fines sur la surface des cônes et descend de cône en cône. Simultanément, de la vapeur est envoyée à contre-courant. Le contact entre la vapeur et la couche mince permet de récupérer les arômes contenus dans le produit initial. La vapeur concentrée en arômes est ensuite condensée.
- La deuxième étape consiste à désalcooliser le liquide par distillation sous vide.
Les arômes sont ensuite réintroduits dans le produit désalcoolisé.
Il s’agit d’un processus beaucoup plus doux que les techniques d’extraction standard, qui permet de capturer plus efficacement les arômes et les saveurs.
@credit – Flavourtech®
La technique du SCC plus en détails :
La colonne à cône rotatif de Flavourtech est une colonne séparatrice dans laquelle on a fait le vide. La vapeur permet de récupérer les composés volatils des liquides ou des jus concentrés. La colonne elle-même est un récipient vertical en acier inoxydable avec un arbre central rotatif. Elle contient une série de cônes tournants et fixes placés en alternance.
Le matériau d’alimentation, à partir duquel les composés volatils doivent être séparés, est introduit dans la partie supérieure de la colonne. Ce matériau s’écoule sous la forme d’un film mince (d’une épaisseur d’environ 1 mm) le long de la surface supérieure du premier cône fixe. Il s’écoule ensuite par la sortie du cône stationnaire sur la base du cône de rotation situé immédiatement en dessous. La force centrifuge, générée par la rotation du cône, provoque l’écoulement du liquide vers le haut et vers l’extérieur sur la surface supérieure du cône en rotation. Le liquide se déplace, cône par cône, de haut en bas de la colonne. Parallèlement, on injecte de la vapeur à la base de la colonne. La vapeur remonte vers le haut et entre en contact avec ce film liquide mince riche en substances volatiles, séparant (ou strippant) les composés volatils du liquide. La température et le débit de la vapeur d’extraction peuvent être contrôlés. La vapeur, qui est maintenant de la vapeur mélangée aux composés volatils extraits du produit, s’écoule par le haut de la colonne et passe par un système de condensation.
Ce qu’il faut retenir de ces techniques
L’objectif recherché est de préserver les arômes sans les dénaturer. La distillation et l’osmose sont des procédés qui tendent à dégrader le produit et sa structure aromatique. De ce point de vue, l’infusion est une technique plus douce.
Quelle que soit la méthode choisie, l’élaboration de ces produits est un défi. L’absence d’alcool se traduit par un manque de texture et d’équilibre en bouche. L’apport de sucre peut pallier ce manque de structure, à condition qu’il soit utilisé en quantité limitée. Néanmoins, la reproduction de certaines notes aromatiques est difficile et le choix parmi ces techniques dépend du style de produit souhaité.
Chris Bax, fondateur de Bax Botanics, déclare : « Il est beaucoup plus difficile d’extraire les arômes des plantes en utilisant de l’eau plutôt que de l’alcool. Dans l’univers du gin, on trouve de nombreux exemples où des débutants attirés par la vague du « Make your own gin » sont parvenus à créer des gins agréables à boire. Je défie quiconque d’essayer de recréer ces résultats avec des distillations sans alcool. C’est beaucoup plus difficile, et c’est pourquoi certains fabricants de spiritueux sans alcool utilisent des arômes artificiels et non la distillation traditionnelle ».
« Il est beaucoup plus difficile d’extraire les arômes des plantes en utilisant de l’eau plutôt que de l’alcool »
L’exposition de tous ces produits à l’air est également un problème qui nécessite une attention particulière, car l’alcool ne joue plus ici son rôle de conservateur. Les bouteilles ouvertes doivent donc être consommées rapidement et conservées au réfrigérateur. Notons que la législation impose d’indiquer la date limite de vente.
« Mais tous les produits n’ont pas une durée de conservation courte« , commente Nicolas Medicamento de Doctor Cocktail Ltd. « Nos produits sont incroyablement stables. Ils ne nécessitent pas de pasteurisation et se conservent à température ambiante après ouverture (testés jusqu’à 6 mois). Cela est dû au processus de distillation, à la propreté des ingrédients et au remplissage stérile des bouteilles », ajoute Chris Bax.
Actuellement, la plupart des spiritueux sans alcool sont produits par les grands groupes de spiritueux importants – du point de vue du volume – et par un groupe de fabricants spécialisés qui assurent l’approvisionnement de la plupart des marques. Ces entreprises investissent dans la recherche pour améliorer l’extraction des composés aromatiques et développer de nouveaux produits.
» Je trouve que beaucoup de produits sont très consensuels « , déclare Romuald Vincent, fondateur de Djin. « Peu de produits sont véritablement artisanaux. Cependant, la qualité s’améliore d’année en année et la demande est en plein essor, en particulier sur certains marchés comme le Royaume-Uni« .
Les amateurs de spiritueux peuvent ne pas comprendre ou ne pas adhérer à ces produits. « Pour les apprécier, il faut changer d’état d’esprit. Essayer de les comparer à des spiritueux n’est pas la bonne approche. C’est comme comparer des pommes et des poires« , ajoute Vincent. Pour Arnaud Jacquemin d’Univers Drinks, « le plus important est que le produit soit agréable, qu’il présente des similitudes avec le spiritueux dont il est issu dans le cas des spiritueux redistillés, qu’il offre de la complexité et de la longueur en bouche« .
Ces produits sont destinés à être consommés en long drink, en y ajoutant un tonic, ou tout autre soft drink. Ils sont difficiles à apprécier pur, en « shot ». A ce titre, il est préférable de suivre les recommandations du producteur qui pourra conseiller quel type ou quelle marque de tonic ou soft utiliser.
Les prix sont-ils justifiés ?
Les consommateurs peuvent se demander pourquoi ces produits sont assez chers, et à juste titre. Les prix de vente au détail varient entre 25 et 40 euros. Les producteurs qui redistillent les spiritueux vous diront qu’il faut produire le spiritueux et le redistiller ensuite, ce qui rend le processus extrêmement coûteux. Malgré ces prix, les ventes se développent rapidement.
Comme l’a souligné Chris Bax, il est beaucoup plus difficile d’extraire les arômes des plantes en utilisant de l’eau plutôt que de l’alcool. « Il faut plus d’ingrédients bruts et plus d’énergie pour produire un spiritueux sans alcool, et il faut beaucoup plus de temps pour créer le même volume de spiritueux sans alcool que pour créer des spiritueux à base d’alcool en utilisant notre processus traditionnel », ajoute-t-il. « Notre processus et notre souci du détail nous rendent comparables à un spiritueux artisanal vendu à plus de 40 livres sterling, mais à la moitié du prix. Je pense que la taxe sur l’alcool au Royaume-Uni pour une bouteille de gin est d’environ 11,50 £ (plus de 40 % d’ABV), les prix sont donc comparables à qualité identique. La valeur d’une boisson alcoolisée dépend de sa qualité et de l’habileté de son fabricant plutôt que de son taux d’alcool. La valeur d’un spiritueux sans alcool ne devrait-elle pas être basée sur ces mêmes critères ? »
Nicolas Medicamento estime cependant qu’il est difficile dégager une marge brute appropriée sur les cocktails construits sur une base de spiritueux sans alcool. Les prix sont souvent trop élevés, et ce problème ralentit considérablement le « succès » de la catégorie.
Arnaud Michaud a un avis différent sur la question. Il estime que les prix ne sont pas justifiés. « Les consommateurs savent faire la part des choses et nous pensons que cette situation n’est pas tenable à long terme. Le consommateur ne devrait pas avoir à payer autant pour un spiritueux sans alcool que pour un gin, par exemple. La stratégie de notre marque « Pure Zero » consiste à proposer aux consommateurs des produits à 9,90 euros, ce qui reflète le prix réel du produit. Nous constatons que dans les supermarchés, beaucoup de spiritueux sans alcool ne se vendent pas. Il faut trouver un juste milieu« .
Il se peut que le marché se segmente en différents niveaux de qualité, comme c’est le cas pour toutes les autres boissons artisanales. Certains consommateurs se contenteront de produits d’entrée de gamme. D’autres rechercheront des produits de meilleure qualité, des marques plus intéressantes.
« Il se peut que le marché se segmente en différents niveaux de qualité, comme c’est le cas pour toutes les autres boissons artisanales »
Bax commente : « C’est ce qui s’est passé avec la bière artisanale et le gin. Dans ces secteurs, les consommateurs comprennent et acceptent désormais qu’il existe une large gamme de prix et qu’ils sont libres de choisir. Il en ira de même pour les spiritueux sans alcool. Le marché est un peu confus en ce moment et je pense que cela rend la vie difficile au consommateur, mais je suis tout à fait convaincu qu’avec l’expérience et l’éducation, les produits seront acceptés à leurs différents niveaux de prix.
S’écarter de la voie légale
Comme indiqué précédemment, les « spiritueux » sans alcool et à faible teneur en alcool (1,2 % ABV) ne sont pas (encore) définis légalement par la législation européenne, et les dénominations descriptives explicites ne font pas non plus l’objet d’un large consensus. Par conséquent, les informations figurant sur l’étiquette doivent clairement informer les consommateurs sur ce que le produit est ou n’est pas.
Les catégories de boissons spiritueuses protégées et les indications géographiques (IG) ne doivent pas
être utilisées ou mentionnées sur l’étiquetage. Ainsi, le gin, le rhum, le whisky, le whisky écossais et le cognac à faible teneur en alcool ne sont pas acceptés. L’interdiction s’applique également lorsque les dénominations légales ou les indications géographiques sont utilisées en conjonction avec des mots ou des phrases tels que « comme », « type », « style », « fait », « saveur » ou tout autre terme similaire.
Un coup d’œil rapide sur le marché montre que de nombreux spiritueux sans alcool ne respectent pas ces exigences légales.
Vous souhaitez en savoir plus sur les exigences légales relatives aux « spiritueux » sans alcool ? Cliquez ici pour plus d’informations.
Thierry Heins
Note : le Spirits Selection est ouvert aux catégories de spiritueux sans ou à faible teneur en alcool. La prochaine édition du concours aura lieu fin septembre 2023 en Italie, à Trévise. La date de fermeture des inscriptions est fixée au 15 juillet 2023.
@credit picture cover page – Ulric Nijs