Rhums Karukera – Entretien avec Grégoire Hayot

Rhums Karukera – Entretien avec Grégoire Hayot

Le rhum Karukera Black Edition Alligator 45° de Guadeloupe a obtenu une grande médaille d’or et l’une des dix révélations de la dernière édition du Spirits Selection by Concours Mondial de Bruxelles. C’est la seconde fois que Karukera obtient cette prestigieuse distinction. Interview avec Grégoire Hayot, qui a manifestement de nombreuses idées.

Vous êtes l’un des premiers en Guadeloupe à vous être intéressé au vieillissement des rhums. A quand remonte cette démarche ?

En 2005, la Guadeloupe ne produisait pas de rhums vieux, c’était dans les Antilles l’apanage de la Martinique. A cette époque, cela représentait 30% en valeur des rhums de la Martinique, alors que chez Damoiseau, principal acteur des rhums vieux de la Guadeloupe, cela ne représentait que 13% en valeur. Donc à cette époque, j’ai fait le constat suivant : la Guadeloupe ne fait pas de rhums vieux, et n’est pas très présente à l’export. On avait des rhums de grande qualité, notamment les rhums blancs, mais on ne ressentait pas ce besoin d’aller sur le grand export.

J’ai donc souhaité faire des rhums vieillis, pour être différent d’une part, mais aussi pour pouvoir aller vendre l’image de la Guadeloupe sur le grand export. C’est assez vertueux, car quand on commence à faire découvrir la production d’un territoire, mécaniquement on amène les gens à vouloir le découvrir ou à s’y installer. J’ai eu une démarche visant à valoriser notre territoire et à produire des retombées économiques. Nous avons un héritage fort dans ma famille, on est dans ce métier du rhum depuis très longtemps. En 1788, Jean François Hayot a commencé à faire du sucre et du rhum. Si je remonte à mon père – 31 campagnes sucrières -, il a produit du rhum de sucrerie par millions de litres. Mon arrière grand-père, Simon Hayot, est le poteau du sucre et du rhum de la Martinique. Jacques Bally est aussi de ma famille.

Comment procédez-vous au vieillissement de vos rhums ?

Pour le rhum vieux, les choix qu’on va faire vont véritablement typer le produit. Il n’y a pas de bons ou de mauvais rhums ; il y a des rhums qui ont des défauts, et des rhums qui sont bien ou mal faits.

Dès 2005, j’’ai donc fait le choix de travailler en chêne français parce que le rhum tel qu’on le connaît est fait à 90% à partir de fûts de chêne blanc américain, qui donne des notes vanillées, des lactones (notes de noix de coco) … Mais j’ai choisi du chêne pédonculé, qui donne des alcools secs. J’aurais pu choisir du chêne sessile qui donne des notes fruitées, mais dès le début je me suis tourné vers d’autres fûts, avec des chauffes moyennes à fortes, de type cognac. Karukera s’est développé là-dessus. D’autre part, j’ai toujours été intéressé par l’expérimentation, probablement de par ma formation d’ingénieur. Et j’en ai fait de nombreuses, parfois avec succès, d’autres moins.

Dès 2008, je me suis intéressé au fût neuf, quelque chose d’extrêmement dangereux sauf si on travaille en chêne blanc américain. Contrairement au chêne français, il contient assez peu de tanins et beaucoup de polyphénols. Laisser du rhum dans un fût neuf de chêne français pédonculé plus de 3 ou 4 mois est extrêmement risqué : on obtient des notes de bois extrêmement prononcées, de l’amertume…

Si on extrait trop de tanins, il faut ensuite pratiquer des rotations longues dans des fûts usagés pour arrondir les angles, affiner ces tanins par les réactions d’oxydo-réduction. Mais il y a de la matière à travailler. Il ne faut pas oublier qu’on extrait des composés volatils, mais aussi des composés solubles très intéressants en bouche. Le résultat de toutes ces expériences montre qu’on peut faire des produits gourmands avec des fûts neufs.

Monsieur Hayot, pouvez-vous nous en dire en peu plus sur ce Karukera Alligator ?

Je travaille avec des chauffes cognac, dits toastés, à savoir des chauffes longues à température modérée. Ces chauffes modifient la structure du chêne, de façon à permettre l’extraction de composés qui avec le temps, avec la respiration du fût, forment des acides gras, des esters, de la vanilline…

J’arrive à présent à acheter dans la région de Cognac des fûts d’un an, qui ont fait 3 ou 4 rotations de cognac. Ces fûts ont été en quelque sorte « lessivés » mais je préfère dire « culottés ». Les fûts toastés donnent un goût de bois, mais je voulais aussi donner de la sucrosité, et surtout pouvoir reproduire le profil du produit sur des volumes. Cela ne m’intéresse pas de sortir un rhum en petit volume pour les collectionneurs.

Obtenir de la sucrosité en travaillant avec du chêne américain serait évidemment plus facile.

Dans les composants du chêne, comme je viens de l’expliquer, on a des tanins, de la lignine, des polyphénols, mais aussi de l’hémicellulose. Les seuls « oses » (sucres simples) que nos sens peuvent percevoir sont les mono- et disaccharides (une ou deux molécules de sucre). Avec de longues chaînes de sucres, on ne sent que peu ou pas la note sucrée. Les sucres du bois ont une affinité avec l’eau, et sont donc extractibles en phase aqueuse ; les tanins en revanche, comme la lignine, ont une affinité avec l’alcool. Plus le degré à l’entonnage est élevé, plus on va extraire de tanins, alors qu’il faut des degrés bas pour extraire l’hémicellulose. L’idée était donc de faire le finish d’un rhum vieux Karukera en le transférant dans un fût de chêne français pédonculé cognaçais neuf mais carbonisé, tout en le réduisant à 46°. Je voulais obtenir un rhum vieux auquel j’apporterais un peu plus de douceur.

La carbonisation consiste à mettre le feu au fût, mais évidemment cela ne peut pas durer plus de 30 ou 40 secondes pour ne pas finir avec du charbon de bois. C’est une pratique couramment pratiquée par les américains. Les fûts de bourbon ne sont pas toastés mais carbonisés, à différents degrés (Char#1, Char#l2….). La carbonisation assoupli les tanins et permet d’apporter de la sucrosité. C’est pour cela que les américains peuvent travailler avec des fûts neufs, qui contiennent peu de tanins.

Le rhum Alligator est resté 8 mois dans ces fûts français carbonisés. Et le résultat est intéressant. Il n’a pas pris de notes amères, il a pris quelques notes fumées liées à la carbonisation. Cela reste un rhum des Antilles françaises, on a ce côté fumé, avec des notes sucrées de cassonade. Le taux de sucre reste très bas, moins de 0.3 gr par litre. Et ça a plu ! Pas à tout le monde, et c’est tant mieux. Certains ne cherchent pas ces petites notes fumées. L’Alligator ce n’est rien d’autre qu’une chauffe.

Y a-t-il des spécificités à noter sur les rhums de Guadeloupe ?

Les rhums blancs de Guadeloupe sont très intéressants car il y a une grande diversité grâce au nombre de petites unités de production.

Dans les petites unités, il y a toujours de la variabilité. Pour avoir de la régularité, il faut travailler des volumes et s’assurer une qualité constante de la canne. Et cela, même pour des grosses unités, c’est compliqué. On peut avoir des renvois de canne d’une journée à l’autre par exemple. Il est clair qu’une canne broyée fraîchement coupée est bien meilleure qu’une canne qui a traîné 24 heures sur le parc à cannes. Les bactéries peuvent la contaminer ; or la fermentation nécessite plus de levures que de bactéries, même siles bactéries apportent aussi du bouquet. Mais les bactéries telluriques, celles qui contaminent la canne lorsqu’elle est en contact avec la terre ne sont pas bonnes. C’est pour cela qu’on acidifie le vesou lors de la fermentation, pour contrôler ces bactéries.

Bellevue et Longueteau produisent du rhum aux notes plutôt fruitées, d’agrumes. D’autres comme Damoiseau font des produits un peu plus neutres, très bien faits et faciles à boire. Chacun peut y trouver son bonheur. Les petites unités font des rhums qui leur ressemblent, avec les installations dont ils disposent. Comme technicien, on peut émettre des critiques, il y a des choses à revoir, il y a des non-sens. Mais il faut être conscient qu’au-delà du marketing, le rhum dépend du savoir-faire du producteur mais aussi avant tout des outils dont il dispose.

Quels sont vos projets à 5 ans ?

Je vais sortir un produit cette année, issu d’une expérience ratée, mais très bon ! C’est un double distillat, c’est à dire deux distillats qui ont été élevés séparément. De nouveau l’idée est d’apporter de la douceur. J’avais un vieillissement de rhum agricole de 2008, sur des fûts de chêne français pédonculé ex-Cognac, et également un 2013 élevé en chêne américain. En 2016, j’ai réuni ces deux rhums dans un fût de chêne français ex- cognac, avec une mise à degré à 42°, pour extraire des « oses ». J’ai un chai sec ; le TAV a donc depuis lors remonter, pour atteindre à présent 45°. Le produit est très intéressant : il n’a pas la puissance et l’intensité aromatique d’un rhum vieux agricole, mais il a de la douceur.

Je vais développer des rhums de sirop (jus de canne concentré), à la fois pour le bouquet du rhum de mélasse, mais aussi pour le coté aromatique du rhum de jus de canne. C’était une pratique courante dans le passé dans les Antilles. A Haïti, les clairins ne sont rien d’autre que des rhums de sirop. Je compte sur l’unité que je vais construire et vais coupler des évaporateurs à ma colonne à distiller. Cela va me permettre de distiller du jus de canne concentré, un produit nouveau en Guadeloupe.

D’autre part, cette petite unité va me permettre de produire des eaux de vie de fruits tropicaux.

La marque Karukera va rester sur son corps de métier, l’élevage des rhums agricoles.

Enfin, nous allons construire une grosse unité de broyage et de distillation, pour produire des alcools, qui pourra servir pour une filière. On espère ainsi améliorer la coopération entre les producteurs de canne.
Thierry Heins

Notes de dégustation – Karukera Black Edition Alligator

Appearance : Clear amber color

Nose : Elegant and soft nose, with predominant but very fine wood notes. Notes of fine spices, flowers, exotic fruits, dried bananas and lime. Very attractive.

Mouth : More punchy and explosive mouthfeel. Very nice sugar cane flavors on the long lasting aftertaste. Notes of exotic fruits, fine and sweet spices.

Overall : Well-balanced and harmonious, with elegant complexity. Lively and fresh, with nice volume on the palate and great persistency. A very fine rum, with every element falling into place in a perfectly orchestrated performance. Fantastic!

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