Les rhums traditionnels de Guadeloupe – Opportunité de développement en catégorie « premium ».

Les rhums traditionnels de Guadeloupe –  Opportunité de développement en catégorie « premium ».

Peu connu des consommateurs, l’indication géographique des rhums de Guadeloupe couvre également les rhums de mélasse dits « traditionnels ». Discussion avec Hervé Damoiseau sur cette opportunité.

L’indication Géographique des rhums de Guadeloupe reconnaît deux types de rhum : le rhum agricole, élaboré à partir de pur jus de canne frais, et le rhum dit industriel, qui peut être élaboré à partir de mélasse, sirop ou miel,…

Des 600 000 tonnes de cannes produites annuellement sur les 13 200 ha de surface agricole dédiée, 10 % seulement est destiné à la fabrication de rhum agricole. Les 90 % restant sont transformés dans les sucreries. La mélasse est un sous-produit de l’industrie sucrière, elle contient plus ou moins 4.3% de sucre qui n’a pas pu être cristallisé. La mélasse est fermentée par des levures pour être ensuite distillée pour produire du rhum. La plupart des rhums que nous consommons dans le monde sont d’ailleurs des rhums de mélasse.

La mélasse de la sucrerie Gardel (Grande Terre) est récupérée par la distillerie Bonne Mère située sur Basse Terre. La sucrerie de Grande Anse transforme directement sur le site de Grand Bourg la mélasse de Marie Galante. On estime à plus ou moins 21.000 tonnes la production annuelle de mélasse sur l’archipel.

Thierry Heins : Quelle est l’importance de cette production de rhum de mélasse ?

Hervé Damoiseau : Toute la mélasse qui est produite en Guadeloupe est distillée en Guadeloupe. En 2020, ce sont 46.500 HAP de rhum de mélasse qui ont été produits. Pour le lecteur, cela représente un équivalent de 16 millions de bouteilles de 70 cl à 40% d’alcool. Ce n’est pas rien.

TH: Ces rhums de mélasse peuvent-ils tous revendiquer l’IG « Rhum traditionnel de Guadeloupe » ?

HD : Tout dépend du devenir de ces distillats. Ce sont les mêmes conditions d’obtention que pour les rhums agricoles de Guadeloupe. Ils doivent contenir un Taux de Non-Alcool (TNA) de minimum 225 gr/HL. Il n’est pas permis de les édulcorer, d’y ajouter de la glycérine, ni des arômes. Et pour les rhums de mélasse vieillis, pour pouvoir revendiquer l’IG, ils doivent être vieillis sur l’archipel. J’ajouterai qu’en Guadeloupe il n’y a pas de production d’éthanol, la mélasse n’est pas exportée, et elle est entièrement transformée en rhum.

TH: Que deviennent ces rhums de mélasse ?

HD : Une grande partie de rhum de mélasse de Guadeloupe entre dans la composition du rhum Negrita, en blanc et en ambré. N’oublions pas que ces deux distilleries appartiennent à la Martiniquaise-Bardinet. Negrita est un blend de rhum de mélasse provenant de la Réunion, de la Martinique (en faible quantité) et de Guadeloupe. Il ne peut donc revendiquer l’IG Rhum traditionnel de Guadeloupe.

Une quantité importante est également vendue aux producteurs de punchs et de cocktails, qui recherchent des produits plus neutres, pour éviter de donner un goût aux punchs.

Pour les rhums vieillis, on peut citer les rhums Darboussier, Contrebande mais aussi le rhum Vieux Pap, qu’on ne retrouve que sur l’archipel pour ce dernier. La distillerie SIS Bonne Mère dispose d’un stock de 4700 fûts. Elle vient de construire un chais supplémentaire pouvant accueillir 5000 fûts.

TH: Chez Damoiseau, vous produisez depuis longtemps des blends de rhum agricole et de mélasse. Pourquoi ce choix ?

HD : Mes blends contiennent plus de rhum agricole que de rhum de sucrerie. Nous nous sommes lancés dans cette aventure un peu par curiosité. Nous produisions déjà des rhums agricoles vieux, mais nous voulions tester une nouvelle approche pour toucher un autre public, au niveau gustatif et commercial. Le Concordia, notre blend de 4 ans d’âge, a eu un grand succès parmi le public, preuve que l’on peut élaborer des produits séducteurs en trouvant le bon rapport rhum agricole – rhum de sucrerie. Nous avons également le Statera, blend de 5 et 6 ans d’âge ainsi que la cuvée spéciale. Nous avions produit aussi des blends millésimés 89-91-95 mais les stocks sont à présent épuisés à la distillerie. Mais nous avons bien sur des rhums agricoles vieux, VO, VSOP, 8 ans d’âge et bientôt un 15 ans d’âge.

TH: Pourquoi ne produisez-vous pas un 100% rhum traditionnel ?

HD : Tout simplement parce que cela ne correspond pas à mon goût. Je dois pouvoir boire les rhums que je vends. Je n’aime pas le goût trop prononcé de rhum de sucrerie.

TH: Au vu des volumes de rhums de mélasse vendus dans le monde et de la disponibilité en mélasse sur l’archipel, pourquoi la Guadeloupe ne produit elle pas des rhums traditionnels premium ? Pourquoi ne pas valoriser l’IG « Rhum traditionnel de Guadeloupe », à l’image du rhum Rivière du Mât de la Réunion, produit par le même groupe ?

HD : Les deux distilleries qui produisent ces rhums de sucrerie – SIS Bonne Mère et Grande Anse – appartiennent toutes deux au groupe Bardinet – La Martiniquaise, et il semble que jusqu’à présent, produire des rhums traditionnels « premium » ne fasse pas partie de la stratégie de développement du groupe dans l’archipel. Historiquement, ils produisent avant tout des rhums premiers prix en Guadeloupe. Pourquoi ? C’est une question qu’il faudrait leur poser directement, car d’après moi il y a une belle carte à jouer en premiumisant cette catégorie !

Thierry Heins

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