Les bruts de colonne de Guadeloupe révèlent la trame aromatique du distillat
Le rhum dit « brut de colonne » est embouteillé à son degré de sortie de colonne. Il permet de proposer à l’amateur averti la trame aromatique des distillats de chaque distillerie. Nous faisons le point avec 4 distilleries.
Très peu de rhums sont embouteillés et commercialisés au degré de sortie de la colonne de distillation. Le rhum de coulage, qui sort de l’atelier de distillation va suivre des voies différentes suivant qu’il est destiné à produire des rhums blancs (après un repos en cuve inox de minimum 3 semaines) ou des rhums vieux (mis en fûts). Ils seront réduits à un taux d’alcool plus bas par ajoute d’eau avant d’être mis en bouteille, excepté pour les bruts de fûts.
Dans cet article nous nous intéressons au « rhum blanc brut de colonne ». Il a ceci de particulier qu’il est embouteillé à son degré de sortie de la colonne de distillation, sans réduction. La réglementation de l’IGP Guadeloupe impose un embouteillage à minimum 40° et maximum 80°, mais autorise aussi la distillation jusqu’à 90°. Il va donc de soi que les bruts de colonne sont des rhums spécialement distillés à maximum 80°
Des cuvées soigneusement sélectionnées
Tout au long de la campagne de récolte de la canne, le distillateur goûte quotidiennement le rhum de coulage. La trame aromatique et le goût varient en fonction des conditions de récolte, du degré de maturité de la canne, de la variété, de la parcelle. Pour produire un brut de colonne, le distillateur tente d’identifier les plus beaux alcools, ceux comportant des grosses molécules secondaires et tertiaires, qui n’agressent pas le nez et qui n’emportent pas la bouche. Il va sélectionner les alcools qui lui semblent les plus qualitatifs.
Il les laisse alors reposer pendant plusieurs mois ou plusieurs années en cuve inox. Leur structure moléculaire va changer ; ils deviennent plus gras, plus souples, l’aromatique se complexifie. Si le résultat est convaincant, la distillerie peut décider alors de l’embouteiller sans le réduire. On obtient ainsi un rhum blanc « brut de colonne ».
Le rhum « brut de colonne » s’adresse plutôt à un public restreint de consommateurs avertis, qui n’ont pas d’appréhension envers des produits parfois très puissants.
Crédit photo: Distillerie Bologne
Francis Lefaux, ambassadeur de marque de la distillerie Montebello : «Le nez, c’est 70% du plaisir, il permet à la bouche de se délecter. Il faut que le distillat soit aéré, brassé, pour qu’il s’arrondisse et que l’alcool s’intègre bien à l’arôme. Il faut une union parfaite du nez et de la bouche. Ce n’est pas toujours le cas. On peut avoir un très beau nez mais la bouche ne suit pas. Ce n’est qu’au bout du processus de brassage qu’on décidera de l’embouteiller ou non en brut de colonne.»
Dominique Thiery, directeur de la distillerie Bielle : «Nous sortons notre brut de colonne quand la période est propice, quand toutes les conditions sont réunies au niveau climatique et hygrométrique, et que les conditions de récolte sont optimales.»
Lydia Moinon, responsable marketing et communication de la distillerie Bologne : «Nous distillons en moyenne à 75.5%, raison pour laquelle nous avons sorti un brut de colonne à ce degré. Ce brut de colonne répond à un besoin d’authenticité. L’objectif est de proposer un rhum fidèle à la trame aromatique de sortie de colonne. Lorsque nous distillons, nous goûtons chaque jour en sortie de colonne. Nous partageons ainsi cette expérience avec les amateurs, pour qu’ils puissent voir ce qui se passe juste après la distillation. Bien sûr, les rhums que nous commercialisons sont différents de leur profil en sortie, puisqu’ils ont reposé 18 mois en cuve. Le brut de colonne est produit lorsque les cannes sont à pleine maturité, en milieu de campagne.
Pour les rhums 100% canne noire, l’ADN de notre maison, nous distillons à des degrés inférieurs, car nous avons identifié que c’est à un degré inférieur que l’on ressort le mieux les caractéristiques de cette variété.»
Delphine Termosiris, Responsable marketing et communication chez Reimonenq : «Notre rhum blanc 50% dénommé « Cœur de Chauffe » est produit à partir de 3 variétés de cannes, dont la R582. Nous venons de sortir un brut de colonne à 77% essentiellement issu de la canne R582 (une canne originaire de la Réunion). Nous avons choisi des cannes très riches en sucre (Brix à 18), que nous avons pris soin de traiter très rapidement, pour préserver toute la fraicheur et l’expression originale de cette canne. Il ne s’est écoulé en effet que 20 minutes entre la coupe et le passage au broyeur. Difficile de faire mieux. Le distillat a été brassé et aéré pendant 10 mois. Suavité et expressivité aromatique caractérisent ce rhum que nous proposons aux amateurs avertis.»
Francis Lefaux : «Ils ne sont pas destinés à faire des punchs. Il faut se poser pour les déguster calmement, C’est une heure de plaisir, dont 20 à 25 minutes de plaisir olfactif avant de le porter en bouche. La langue va détecter les amers, les acides, les sucrés…. mais comme le nez aura été bien présent, la mémoire olfactive restera avec le palais. »
François Longueteau, maître de chais de la distillerie Longueteau : «Lorsque nous avons sorti de notre premier brut de colonne, nous avions anticipé sa consommation en digestif, en remplacement d’un rhum vieux. On s’aperçoit aujourd’hui que ces consommateurs avertis les dégustent plutôt en apéritif, en faible quantité, 1 à 2 cL, guère plus.»
Thierry Heins
- Distillerie Montebello – Cuvée The Bolokos 77%
- Distillerie Bielle – 71.2% brut de colonne
- Distillerie Reimonenq – R582 77% brut de colonne
- Distillerie Bologne – Le Distillat 75,5%
- Distillerie Longueteau – Genesis 72,25%