Le degré d’embouteillage des rhums agricoles blancs de Guadeloupe. Tradition et raisons.
En Guadeloupe, le rhum fait partie intégrante de la tradition culturelle et gastronomique de l’île. Plus qu’une tradition, c’est même un savoir-vivre dans l’archipel: qu’il soit agricole ou industriel, blanc ou ambré, jeune ou vieux, léger ou grand arôme, aucune célébration ne saurait compter sans lui. Et si les nuances gustatives varient d’une île de production à l’autre, d’aucuns auront remarqué que les rhums agricoles blancs de Guadeloupe sont traditionnellement embouteillés à des degrés plus élevés que la plupart des spiritueux, oscillant généralement entre 50 et 62°. Pourquoi une telle différence ? Éléments de réponse.
La distillation, une concentration d’alcool et d’arômes
La Guadeloupe a la particularité de produire des rhums à partir de vesou, jus de canne fermenté, ou de mélasse. Dans les deux cas, ce sont des rhums traditionnels, vocable qui signifie que le Taux de Non Alcools (quantité totale en substances volatiles autres que les alcools éthylique et méthylique) est supérieur à 225 grammes par hectolitre d’alcool pur selon la législation Européenne. Cette teneur en non alcools élevée garantit au consommateur une richesse aromatique et une identité forte. A noter que les rhums « grand arôme » doivent présenter un minimum de 800g/hlap de TNA. La Guadeloupe est donc productrice de rhums traditionnels, qu’ils soient traditionnels de sucrerie, à partir de mélasse, ou traditionnels agricoles, à partir de vesou.
La distillation est une méthode de sélection et de concentration qui s’appuie bien évidemment sur la nature de la matière première, la canne à sucre, et la qualité de la fermentation. Point d’orgue, la distillation révèle le terroir à l’amateur éclairé.
Professionnels, nous réservons le terme « degré » à la mesure de la température, particulièrement clémente en ces terres tropicales, nous lui préférons l’acronyme de « TAV » Titre Alcoométrique Volumique qui lui s’exprime en % par volume.
D’un « vin », moût fermenté, d’un TAV compris entre 7 et 10%, l’on obtient un rhum au TAV compris entre 60 et 90% TAV et un TNA minimal de 225g/hlap. Donc, on peut renoter une concentration suffisante d’alcool et de composés aromatiques, garantie qualitative d’un rhum traditionnel.
De la dégustation des rhums blancs
Christian Vergier, œnologue et spécialiste de l’élevage des spiritueux : « Si les rhums traditionnels de sucrerie peuvent s’apprécier à des TAV relativement bas, voisins de 40% vol, la subtile personnalité des rhums traditionnels agricoles se dévoile généralement davantage à des TAV supérieurs à 45%. L’expression de l’élégance demandant un parfait équilibre, celui-ci est intimement lié avec le choix du TAV, c’est l’ambition de chaque territoire voire de chaque distillateur de le définir. Les possibilités d’un TAV idéal peuvent être nombreuses, l’archipel de la Guadeloupe en est le parfait exemple tant les TAV proposés peuvent être différents voire uniques. Pour les rhums agricoles blancs, Marie-Galante a une préférence pour 59%, par contre le 50% a séduit Basse-Terre, Grande-terre semble fidèle au 55%. Les modes de consommation ont certainement aussi leur influence sur le choix du juste TAV. Ces dernières années ont vu apparaitre des rhums à très hauts TAV, parfois même supérieurs à 70%, rappelons-nous que l’alcool présente naturellement une certaine suavité, il n’est donc pas surprenant que la dégustation soit moins intense et « volcanique » qu’initialement imaginée.
Dans le cas des rhums vieux, même si quelques cuvées overproof et bruts de fûts sont apparues, la palette des TAV proposés s’annonce quant à elle plus harmonieuse, avec une proposition de TAV évoluant majoritairement de 40% à 46% vol. »
Des propos confirmés par Lydia Moinon, responsable marketing et communication de la distillerie Bologne.
Le rhum blanc agricole 50% vol, champion des ventes
Le rhum blanc à 50% est celui le plus consommé en Guadeloupe, en général sous forme de ti’ punch. Ce cocktail à base de rhum agricole blanc, de sucre de canne et de zeste de citron (pas de jus) se consomme à l’apéritif pour accompagner les acras et le boudin créole, emblèmes de la cuisine antillaise. D’autre part, le 50% est d’un emploi aisé pour quiconque souhaite fabriquer son propre punch aux fruits. Sans disposer d’alcoomètre, il suffit de mélanger des volumes identiques de rhum à 50° et de sirop de fruits.
Les amateurs vous diront que le 55% est même préférable au 50%. « C’est à ce degré que le rhum blanc de Guadeloupe exhausse le mieux les notes citronnées, vertes et amères du zeste » commente François Longueteau, Maître de chais à la distillerie Longueteau. « Avec le sourire, les anciens vous diront que l’avantage d’un taux d’alcool élevé est que vous n’avez besoin que d’un seul ti’ punch pour satisfaire votre plaisir. Je doute néanmoins que l’apéritif en Guadeloupe se termine sur un seul ti’ punch.» « Un ti’ punch deux ti’ punch, trois ti’ punch doudou… », pour paraphrasé le refrain bien connu de la Compagnie Créole.
Quant au 59% de Marie-Galante, il est difficile d’en connaître l’origine. Je ne m’aventurerais pas à vous donner des explications. Différentes théories sont avancées, mais force est de constater que cette coutume reste bien vivace.
Le 40° est donc un pur produit de la mondialisation, et en aucune façon une tradition en Guadeloupe. Il n’est produit par les distilleries que pour satisfaire la demande des marchés.
Les producteurs conseillent d’utiliser du rhum à 50 ou 55° en cocktail, afin de bénéficier de toute la puissance aromatique et gustative de la canne à sucre. Par exemple, 4 cl à 50° plutôt que 5 cl à 40°. La quantité d’alcool reste ainsi identique. N’oublions pas que les cocktails classiques à base de rhum n’ont pas été créés à partir de rhums agricoles. Les professionnels de la mixologie ne cherchent pas à copier ce qui a été fait sur la base des rhums de mélasse, mais revisitent les saveurs ou inventent de nouvelles recettes qui préservent et subliment les qualités aromatiques des rhums agricoles.