Le bouilleur ambulant, une tradition qui se perpétue

Le bouilleur ambulant, une tradition qui se perpétue

Matinée de février 2021, -4°C, ciel bleu – Petit village de Breux, dans le Nord Meusien, à un jet de pierres de la Belgique. Au bord de la route départementale qui traverse le village, Jean Claude Lachaise, bouilleur ambulant, a installé son alambic à côté du lavoir.

Nous sommes situés dans une région rurale où depuis très longtemps, les propriétaires de vergers ou simplement de quelques arbres fruitiers ont pour tradition de fermenter les fruits pour les faire distiller auprès d’un bouilleur ambulant qui officie comme prestataire de services. Ces propriétaires récoltants sont qualifiés de « bouilleur de cru », ils sont autorisés à faire distiller leurs fruits en eaux-de-vie pour leur propre consommation. Il leur est interdit de vendre cette production. Non sans avoir réalisé une déclaration préalable auprès des douanes et avoir acquitté ensuite les accises sur l’alcool.

Jean Claude perpétue la tradition de bouilleur ambulant depuis 1995, un savoir-faire qu’il détient de son  père et grand-père. Il déplace son alambic de village en village sur l’axe frontalier Sedan – Montmedy (Ardennes et Meuse). Il est aussi le  seul distillateur français autorisé à déplacer son alambic en  Belgique. On a ainsi l’habitude de le voir distiller à Torgny, lors de la Saint Vincent. Mais cette année, ce ne sera pas possible, pour cause de covid.

Une chaudière de type Field alimentée en bois sert de générateur de vapeur. La vapeur est envoyée dans l’une des deux cuves de 150 litres, dénommées « chauffe moûts » dans lesquelles se trouve le moût à distiller. Mirabelle, quetsche, poire sont les principales matières distillées dans la région, mais certains apportent du coing, de la prunelle, de la pomme. Les vapeurs passent alors dans deux colonnes de rectification équipées de plateaux, et ensuite condensées à travers un serpentin qui plonge dans une cuve réfrigérée par l’eau froide de la fontaine du lavoir. L’eau tiède du condenseur peut être envoyée dans la chaudière pour générer de la vapeur, ceci afin d’économiser de l’énergie.

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L’alcool est obtenu en seule passe, et il n’y a pas à proprement parler de coupe/écartement  des têtes et des queues, elles sont directement recyclées, et l’alcool est raffiné par passage à travers les différents plateaux.

L’alcool à 65-70°C est ensuite directement réduit par ajout d’eau avant d’être transvasé dans les bidons ou dames Jeanne du récoltant.

Jean Claude fait office de percepteur pour les douanes, ce qui permet de simplifier fortement les formalités liées à cette activité très réglementée. Une déclaration est réalisée en amont par mail aux douanes. Lorsque le volume d’alcool distillé est connu, un chèque est établi directement par le récoltant à l’ordre du trésor public, au tarif  de 9,0133 Euros par litre d’alcool pur. Le récoltant paie la façon au bouilleur ambulant et peut repartir avec son précieux distillat après délivrance d’un titre de mouvement des clients. On ne se promène pas comme ça avec des bidons d’alcool à 50 degrés !

La disparition des privilèges, à savoir l’exonération des accises sur les 10 premières litres (non transmissible depuis 1959) n’a pas enterré cette activité artisanale. D’autres jeunes s’y mettent en acquittant les droits, et c’est réjouissant. Alors que le fait main et le fait maison font partie des signes révélateurs d’une craftérisation, des formations spécialisées remettent au goût du jour des métiers du patrimoine qui se transmettaient oralement et dont les savoir-faire ancestraux sont marqués par la production en circuits courts. Et c’est une bonne nouvelle pour la sauvegarde de ce patrimoine fruitier local et ces paysages de vergers.

Jean Claude accepte des quantités minimales de 30 litres de moût à distiller. « En cette période de confinement, les passants aiment se rassembler quelques minutes autour de l’alambic, on sent que tout est fermé et que les gens ont besoin de ce contact social », me dit Jean Claude.

Nous avons passé deux heures à discuter de distillation, d’eaux de vie de fruits, à partager nos expériences, non sans déguster quelques eaux de vie intéressantes, de mirabelles, poirettes, coing, poires et prunes. La qualité des eaux-de-vie dépend avant tout du soin apporter lors de la fermentation des fruits.

Ce soir, Jean Claude Lachaise déplacera son alambic dans un autre village des Ardennes toutes proches. La saison est loin d’être terminée.

Thierry Heins

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