La naissance d’un tonneau
Quel est le trajet d’une grume de chêne, de la forêt au fût ? Nous vous emmenons à la Merranderie Vriet, non loin du château de Chambord, qui s’est doté d’une tonnellerie depuis 2006. Voyage d’un autre temps !
Entre la naissance d’un chêne et la dégustation du premier verre de vin élevé dans une barrique réalisée à partir de son tronc, il peut s’écouler plus de 200 ans. Avant d’aller plus loin, précisions deux ou trois termes. La merranderie est l’activité qui consiste à produire des merrains à partir du tronc de l’arbre, des lamelles qui ont entre 22 et 37 millimètres d’épaisseur et une largeur entre 20 et 120 millimètres. Ces merrains vont servir à fabriquer les douelles qui vont être assemblées pour former les parois du tonneau. La première qualité d’un fût est d’être étanche. Il faut donc respecter le fil du bois (le sens de montée de la sève), ce qui ne peut être obtenu que par fendage de la grume (le tronc ébranché mais encore avec son écorce).
Le chêne à merrain doit pousser très lentement pour avoir un grain très fin, gage de qualité. Sa pousse est ainsi d’environ 0,5mm de diamètre par an. Il est issu de forêts dites sous futaies, régénérées par semis naturel. Les jeunes futaies sont éclaircies tous les dix ans, mais ce sont uniquement les dernières coupes qui vont produire les grumes destinées aux merrains. Cette conduite de la forêt permet de produire des grumes bien droites avec un minimum de branches latérales, pour minimiser les nœuds préjudiciables à l’étanchéité.
En lune descendante
Les chênes à merrain ont au minimum 120 ans, mais les plus recherchés ont entre 160 et 180 ans et sont issus de chênes pédonculés ou sessiles européens. Ils conviennent le mieux à l’élevage du vin, au contraire du chêne rouge et du chêne blanc nord-américains, très riches en tanins et qui, de ce fait, ne conviennent bien qu’au vieillissement des alcools forts (bourbon par exemple).
Les prix vont de 400 à 1000 €/m3 pour les grumes de chêne destinées à la tonnellerie, contre 100 €/m3 pour celles destinées au parquet et 50 €/m3 pour les traverses ou charpentes. Les ventes sont réalisées par soumission, au plus offrant. Pour certaines grumes, les prix peuvent atteindre 1500€/m3, selon l’âge du chêne, sa valeur patrimoniale et sa provenance.
Les arbres sont abattus en lune descendante, pour minimiser la sève dans le bois. Environ 20 % à 30% d’une grume est convertie en merrain, les 80 % restants sont vendus en connexes (bois de chauffage, contreplaqué, etc.). On fait en moyenne 12 barriques dans 1m3 de merrain. Si l’on compte 20% de rendement sur un m³ de chêne à 80O€, 30 heures de travail par m³ de merrain (soit 1000€), le tout donne un coût de matière première par barrique au minimum de 400€. Sans compter les frais d’abattage et les frais liés au temps de séchage.
Les billons sont fendus dans le droit fil du bois, en éliminant les piqures d’insectes, taches rouges (champignons), parties dégénérées du bois, galle traversante, cœur du billon… Les pièces fendues sont finalement sciées pour constituer les douelles d’épaisseur et de largeur variables. Cette méthode remonte à la nuit des temps et est aujourd’hui pratiquée avec les outils les plus modernes, notamment avec calculateur de débit et assistance laser.
L’art de la chauffe
Les douelles sont une dernière fois triées, par épaisseur, largeur et qualité (grain). Celles avec défauts sont retravaillées, par exemple pour constituer les fonds de barriques. Elles sont ensuite stockées durant 2 à 3 ans à l’air libre. Ce séchage naturel est primordial, les qualités à la fois mécaniques, organoleptiques et œnologiques des futures barriques en dépendent. Le temps accomplit, grâce au vent, au soleil et à la pluie son lent travail d’affinage. Les tanins les plus grossiers s’évaporent, les arômes murissent. Le bois passe ainsi de 80% d’humidité à 15%.
Après sciage et polissage, les douelles sont en partie cerclées puis cintrées sur toute la hauteur du fût. À cette étape, le tonneau commence vraiment à prendre forme. Les douelles sont assemblées autour d’un cercle provisoire en métal. Il faut en compter une trentaine par pièce, que la barrique soit bourguignonne ou bordelaise. Le tonnelier alterne une douelle large puis une douelle fine. Lorsqu’il glisse la dernière, la rose tient déjà d’elle-même, mais on ajoute quelques cercles pour renforcer cette base.
Vient alors la première opération de chauffe qui a pour but de rendre le bois malléable. On monte doucement en température, pour que les douelles atteignent 70 à 80°C à cœur. Au même moment, on arrose le chêne avec de l’eau afin de l’assouplir. Avec un câble en acier, on serre progressivement la base de la barrique qui va ici prendre sa forme définitive. Les derniers cercles sont ajoutés pour maintenir la base du fût. Le bouge apparaît, ce renflement caractéristique des fûts en chêne dans lequel les lies se logeront pour donner du corps au vin.
Vient ensuite le bousinage ou chauffe aromatique qui vise à travailler les arômes, c’est la signature du tonnelier. Le vigneron guide ce processus crucial par les souhaits précis qu’il a émis. Le feu utilisé ne sert pas à brûler mais à « cuisiner ». Chaque chauffe est l’objet d’une attention particulière, le bousinage est un art à part entière. Les arômes envahissent l’espace : en plongeant le nez dans un fût encore chaud, on remarque bien les variations.
En fonction de la chauffe choisie, les molécules présentes dans le chêne exhaleront ainsi des arômes différents dans le vin ou l’alcool. Sur des grains fins, on obtiendra des arômes de vanilline, de pain d’épice, de pain grillé… Sur des grains forts, plus riches en tannins, on obtiendra plus d’amertume mais aussi plus de couleur, ce pourquoi ils sont prédisposés au vieillissement des alcools forts. Néanmoins, les grains fins sont utilisés également pour les alcools, tout dépend du profil recherché. Ainsi Martell utilise des grains fins, alors qu’Hennessy privilégie des grains forts, de chêne français.
Située à Mont-Prés-Chambord, la tonnellerie du Val de Loire produit un millier de barriques par an, dont 70% sont exportés vers l’Afrique du Sud, le Chili et les Etats-Unis. Le solde est commercialisé en Bourgogne et dans le Bordelais. La gamme est constituée de différents formats. Le fût le plus cher à produire est celui de Bordeaux (225 litres en 22 mm d’épaisseur), car il requiert un fil parfaitement droit (il ne tolère pas de fil « tranché », vu sa faible épaisseur) et un grain très fin.
Chêne pédonculé, chêne sessile ou chêne américain ?
Le chêne pédonculé (Quercus Robur) à l’écorce plus épaisse, pousse plus vite, et est souvent issu de taillis sous futaie. Il est très exigeant en lumière et supporte peu la concurrence. Il tolère moins bien la sécheresse. Il faut lui appliquer une sylviculture dynamique, des éclaircies fréquentes et régulières.
Le chêne sessile (Quercus Petraea), à la croissance plus lente, au tronc souvent droit jusqu’au sommet, produit donc un grain plus fin. Il supporte mieux la concurrence, et a un bon comportement en peuplement dense.
Chêne pédonculé et chêne sessile n’ont donc pas les mêmes exigences écologiques, la sylviculture doit donc être adaptée à chaque espèce. La taille du grain ne dépend pas seulement de l’espèce – pédonculé ou sessile – mais également des conditions de croissance de l’arbre. Ainsi, le chêne pédonculé donnera un grain plus fort dans le limousin que dans le nord du pays.
Les barriques de chêne français sont souvent constituées de douelles des deux espèces. Les tonneliers communiquent sur le grain, plutôt que sur le type de chêne.
Le chêne rouge et le chêne blanc nord-américain sont particuliers, leur grain est « bouché », c’est-à-dire que les canaux de la circulation de la sève sont étanches. Il en résulte que les billons peuvent être sciés, au lieu d’être fendus. Le contact entre le liquide et l’air sera donc faible, on parle de barriques peu oxydatives.
Texte : Thierry Heins