La merranderie, étape essentielle à la production des barriques de spiritueux – 2ème partie
Quelles sont les différentes étapes de la production de merrains ? Quelles sont les solutions alternatives proposées ? Quelle est la situation du marché ? Nous faisons le point avec Merrain International et Oak Solutions Group – evOAK, filiales d’Independent Stave Company.
Merrain-International, dans les Vosges
Le groupe américain Independant Stave Company appartenant à la famille Boswell, cherchait à la fin des année 80 à sécuriser son approvisionnement en merrains d’origine française pour sa clientèle américaine, afin de produire des barriques de vin. Ils font alors l’acquisition de la scierie de Monthureux-sur-Saône, qui produisait du bois d’œuvre. Les premières douelles sont produites sur le site au début des années 90. Depuis lors, la famille Boswell n’a cessé d’investir dans cette merranderie qui est devenue l’une des deux plus importantes de France. Merrain International fournit aujourd’hui tout le chêne français destiné aux tonnelleries du groupe en France (Tonnellerie Trémeaux en Bourgogne et Quintessence à Bordeaux) et aux Etats Unis. Une petite part du volume produit est revendu à d’autres tonneliers pour réguler les volumes.
Afin d’éviter tout gaspillage de cette matière noble qu’est le chêne et de maximiser le rendement de la production, la merranderie est aujourd’hui à la pointe de la technologie. Poussée par la famille Boswell, de nombreuses solutions techniques ont été mises au point par leur bureau d’ingénierie. L’unité « Oak Solutions Group » produit également des bois de chêne oenologiques (copeaux, granulats, tank stave..) à partir des pièces de chêne ne pouvant être transformées en douelles de barrique.
Aujourd’hui, plus de 12 000 m³ de merrains maturent sur les 6 ha de parc de la merranderie. Le chêne provient pour l’essentiel de la forêt voisine de Darney, une forêt domaniale d’exception en passe d’obtenir une AOC pour le chêne qui en est issu.
Le séchage naturel de deux ans sur parc est primordial, puisque les qualités à la fois mécaniques, organoleptiques et œnologiques des futures barriques en dépendent. Le temps accomplit, grâce au vent, au soleil et à la pluie, son lent travail d’affinage. Les tanins les plus grossiers s’évaporent, les arômes mûrissent… Le bois passe ainsi de 80% d’humidité à 20-25%.
@ISC– Le merrain est séché 24 mois
7000 m³ de grumes sont en attente de transformation sur un autre parc à proximité du site. Les abattages des grumes sont réalisés en hiver, lorsque « les bois ne sont pas en sève ». Mais les activités de la merranderie se poursuivent tout au long de l’année. Il faut donc protéger ses grumes par aspersion, pour éviter les piqûres par les insectes et le développement de champignons.
“Le séchage naturel de deux ans sur parc est primordial, puisque les qualités à la fois mécaniques, organoleptiques et œnologiques des futures barriques en dépendent.”
Les merrains doivent maturer 24 mois
Les grumes sont traitées par lot de 400 à 500 m³, par qualité de grain. Chaque grume est inspectée avant tronçonnage, les traits de coupe déterminés. Une responsabilité énorme pour l’opérateur, qui doit maximiser le rendement en merrain, sans envoyer des parties qui ne seraient pas exploitables en douelles.
@ISC – Les grumes sont traitées par lots de 400 à 500 m3 par qualité de grain
Les grumes sont tronçonnées sur le banc en fonction de la hauteur des douelles à produire. Les billons sont alors fendus dans le droit fil du bois, et les pièces fendues sont finalement sciées pour constituer les douelles d’épaisseur et de largeur variables. Calculateur de débit et assistance laser permettent aux opérateurs de maximiser le rendement de découpe et de scier en suivant le fil du bois. En fonction du grain, les douelles sont empilées sur des palettes pour être exposées ensuite deux ans aux intempéries et au soleil. Cette opération dite de maturation permet d’éliminer les tanins du bois, de le sécher (de 80% d’humidité à +/- 20-25% d’humidité) et de développer les arômes.
@ISC – Chaque grume est inspectée avant d’être sciée
@Spiritsselection – Les grumes sont sciées sur le banc en fonction de la hauteur des douelles à produire.
@SpiritsSelection – Le bloc de bois est ensuite fendu dans le sens du fil du bois.
L’opération de dolage et de jointage
Au terme des deux ans, l’humidité des merrains doit être homogénéisée afin d’éviter des problèmes de retrait et de déformation du bois comme le tuilage. En effet les merrains n’ont pas le même taux d’humidité en quittant le parc, selon l’exposition de la palette sur le parc et celle des merrains aux mêmes sur cette dernière – dessus, dessous, milieu. Le merrain est réhumidifié puis sécher en étuve, pour qu’elle soit comprise entre 14% et 16%. Le bois est alors prêt pour sa transformation en douelles.
@ISC – Des douelles de différentes largeurs avec une forme arrondie
Le merrain est scié pour former les douelles de largeur, d’épaisseur et de longueur variables, et leur donner une forme légèrement arrondie afin d’obtenir le bouge, ce renflement caractéristique des fûts en chêne dans lequel les lies se logeront pour donner du corps au vin. Les douelles sont également mises à angle sur leur épaisseur pour permettre leur assemblage en cercle.
“Le merrain est scié pour former les douelles de largeur, d’épaisseur et de longueur variables, et leur donner une forme légèrement arrondie afin d’obtenir le bouge, ce renflement caractéristique des fûts en chêne.”
Les fonds de barriques sont débités spécifiquement en merranderie. Ces douelles ne sont pas arrondies puisque les couvercles sont plats. Des chanfreins autobloquants sont usinés et les pièces des couvercles sont assemblées pour être livrées aux tonneliers. Il restera au tonnelier à découper le couvercle à la dimension précise du tonneau. Les douelles et couvercles peuvent alors être expédiés vers les tonnelleries.
@Spiritsselection – Fonds de barriques avec chanfreins autobloquants prêtes à être expédiées à la tonnellerie.
Les solutions alternatives de « Oak Solutions Group – evOAK »
Les solutions œnologiques dites « alternatives » sont couramment utilisées pour élever les vins, les corriger ou leur apporter des caractéristiques particulières : copeaux et granulats de chêne, mais aussi « tank staves » (petites douelles qui sont trempées dans les cuves de vin) font partie des solutions mises à disposition des œnologues, au côté des barriques. Elles permettent de renforcer la structure d’un vin, ou de développer une palette aromatique en fonction d’objectifs œnologiques.
@Spiritsselection – Les morceaux de chêne qui ne peuvent pas être transformés en douelles pour les barils sont utilisés pour des solutions alternatives en chêne
Dans le domaine des spiritueux, ces pratiques sont fortement réglementées, voire interdites dans de nombreuses appellations, telles que dans le cognac, l’armagnac, les rhums agricoles, les whiskies français et écossais…. Elles sont autorisées dans les brandies, les rhums de mélasse, les whiskies irlandais, …
“Les « alternatifs » sont fortement réglementés dans le secteur des spiritueux, voir interdits dans de nombreuses appellations. Elles sont autorisées dans les brandies, les rhums de mélasse, les whiskies irlandais, … ”
« Oak Solutions Group » a développé un portfolio de produits alternatifs qui offrent des solutions techniques et économiques intéressantes, par exemple pour réaliser des « finish ». N’ayant personnellement aucune position dogmatique sur le sujet, cette visite nous a permis de visualiser le soin qui est apporté à la production de ces solutions alternatives issues des éléments de chênes écartés de la production des douelles. Oak Solutions Group – evOAK a développé une véritable expertise dans la maîtrise des chauffes pour répondre à des demandes particulières de la part des vinificateurs et des éleveurs de spiritueux.
@Spiritsselection – Douelles produites par evOAK
Combien de barriques la France produit-elle ?
Selon la fédération de la tonnellerie française (FTF), 575.000 barriques de chêne français sont produites annuellement. Les chênes à merrain ont au minimum 120 ans, mais les plus recherchés ont entre 160 et 180 ans. Environ 10 à 20% d’une grume est convertie en merrain, les 80 % restants sont vendus en connexes (menuiserie, bois de chauffage, contreplaqué, etc.). Le rendement peut atteindre 40% pour les chênes de la forêt de Tronçais, dans l’Allier. On sort en moyenne 10 à 11 barriques de 225 l dans 1 m3 de merrain.
Vente aux enchères & tension sur les marchés
L’ONF (Office National des Forêts) gère les forêts domaniales mais également les forêts communales de France. Elle établit un cahier des parcelles proposées à la vente : nombre d’arbres en vente, qualité des grumes, cubage. Les arbres sont martelés afin de les identifier. Il appartient ensuite aux acheteurs potentiels de vérifier les lots proposés. Le merrandier vérifie les arbres martelés, et estime le prix qu’il peut proposer, en fonction des qualités. C’est une tâche compliquée, et très risquée d’un point de vue économique. Les merrandiers préfèrent acheter en bord de route, c’est-à-dire des troncs déjà abattus dont la qualité est plus facile à vérifier (présence de blessures, de pourriture, de nœuds…). Ils n’ont pas ainsi à devoir gérer le bucheronnage et la gestion des houppiers (bois de chauffage).
Les ventes sont réalisées sur internet, les acheteurs ont trente secondes pour donner leur prix. Et c’est au plus offrant. Le bois de merrain français s’échange aujourd’hui autour des 300 à 400 Euros le m³.
Recently, the price per m3 of oak has come under pressure. The fact that increases have happened is due to higher demand, increasing freight and labor costs and issues with the supply chain.
Depuis peu, le prix du m3 de chêne est sous tension. Il est la résultante de l’augmentation de la demande de chêne, des coûts du fret et de la main-d’œuvre et aux problèmes de la chaîne d’approvisionnement. Le secteur de la merranderie pèse peu, puisqu’il ne concentre que 5-6% des achats. Ce sont surtout les qualités de bois pour le tranchage et les bois de construction qui sont sous pression. La Chine pèse sur les marchés, mais pas seulement. Cela se répercute sur le prix des tonneaux. Les tonneliers américains ont aujourd’hui des délais de livraison pour les barriques de bourbon qui n’avaient jamais été enregistrés.
@Spiritsselection – Le merrandier d’ISC vérifie les arbres estampillés pour estimer le prix qu’il peut offrir.