Prime Uve – L’Aquavite de Raisin qui Dépasse les Frontières du Brandy
Le savoir-faire de Bonaventura Maschio révèle un distillat de raisin unique en son genre, surpassant les frontières traditionnelles du brandy. Au cours d’une interview avec Andrea Maschio, l’actuel administrateur, nous avons plongé dans l’univers de ce distillat d’exception et découvert les secrets de fabrication qui le différencient grandement d’un brandy classique.
Depuis plus d’un siècle et cinq générations, la distillerie Bonaventura Maschio, nichée dans la région de Veneto, perpétue la tradition de la distillation. Ce qui les rend particulièrement exceptionnels, c’est leur exploration audacieuse de nouvelles voies, conduisant à la création du célèbre « Prime Uve » – une eau-de-vie de raisin qui surprend par sa subtilité et son caractère.
Thierry Heins : Andrea, pourriez-vous nous en dire davantage sur cette eau-de-vie de raisin ? En quoi diffère-t-elle d’un distillat de vin ?
Andrea Maschio : En 1984, la législation italienne a autorisé la distillation de raisin, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives. Auparavant, seule la distillation du marc de raisin était permise. Nous avons immédiatement saisi cette opportunité. Toutefois, au lieu de distiller du vin pour obtenir un brandy, nous avons choisi de distiller du moût de raisin entier. Le processus de création de notre « aquavite de uva » diffère de celui d’un brandy. Tout d’abord, nous macérons les raisins entiers, incluant leur peau, sans les écraser. Ensuite, le moût fermenté obtenu est directement transféré dans l’alambic, en conservant toutes les parties solides. Pour préserver les qualités aromatiques uniques de notre distillat, nous avons dû développer une technologie innovante et concevoir un alambic particulièrement adapté.
T.H. : Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cet alambic en forme d’œuf ?
A.M. : Au départ, nous avons distillé notre moût de raisin entier dans nos alambics à grappa, fonctionnant grâce à l’injection de vapeur. Cependant, nous n’étions pas satisfaits du résultat. Nous aspirions à quelque chose de plus raffiné, de plus complexe qu’une eau-de-vie de marc classique. C’est pourquoi nous avons entrepris des recherches en collaboration avec l’université Udine, afin de concevoir un modèle d’alambic novateur. Notre objectif était de combiner la distillation sous vide avec la méthode du bain-marie, afin d’obtenir un distillat d’une grande douceur, tout en préservant les arômes délicats des raisins, extrêmement sensibles à la température. C’est ainsi que nous avons découvert en Émilie-Romagne un alambic à bain-marie fonctionnant sous pression négative. À l’origine utilisé pour produire du concentré de tomates à partir de tomates pelées, cet alambic offrait une solution idéale. En effet, il était conçu pour préserver la fraîcheur des tomates, sans les altérer par une chaleur excessive. Nous avons compris que cela correspondait parfaitement à nos besoins. Ces alambics étaient devenus obsolètes pour le producteur de concentré de tomates, qui avait opté pour un concentrateur en continu afin de prévenir l’oxydation des tomates pelées. Pour notre Prime Uva, la distillation discontinue n’était pas un problème puisque le moût, liquide et alcoolisé, est par là protégé de l’oxydation.
Nous avons donc acquis ces alambics en 1985 et apporté quelques modifications, notamment en déplaçant la pompe à vide après le condenseur. Nous procédons à une seule distillation à 60°C, car nous avons constaté que la double distillation entraînait une perte des arômes. Notre jus fermenté est à la fois coloré et extrêmement parfumé. La fermentation, qui dure entre 15 et 18 jours à basse température, confère au moût une richesse aromatique unique. Ce dernier est ensuite distillé directement. Nous utilisons différents cépages, aussi bien blancs que rouges, mais le cépage blanc Glera est particulièrement mis en valeur. Ainsi, notre distillerie est étroitement liée au monde du Prosecco.
Grâce à notre méthode de distillation, il n’est pas nécessaire d’éliminer les premières et les dernières parties du distillat. En effet, le méthanol, habituellement présent dans les premières parties, est produit lors de la fermentation lorsque les raisins et les pépins sont écrasés. Étant donné que nous écrasons très légèrement les raisins et qu’ils fermentent dans leur propre liquide, la production de méthanol est réduite. L’élimination des dernières parties est nécessaire pour se débarrasser notamment de l’acétate d’éthyle, qui peut se former dans le marc mal conservé et contaminé par des bactéries. Dans notre cas, nous n’avons pas ce problème car les raisins baignent dans un liquide.
Notre distillat possède une structure plus proche de celle d’un gin que d’une grappa. Il est élégant, doux, léger, fruité et floral.
« Notre objectif était de combiner la distillation sous vide avec la méthode du bain-marie, afin d’obtenir un distillat d’une grande douceur, tout en préservant les arômes délicats des raisins, extrêmement sensibles à la température. »
T.H. : Y aurait-il une similitude avec le pisco péruvien ?
A.M. : Oui, en effet, il existe une certaine similitude avec le pisco péruvien, un brandy sud-américain obtenu également par simple distillation. Dans notre cas, on pourrait même parler de « Pisco Mosto Verde », car nous stoppons la fermentation légèrement avant que tous les sucres ne se transforment en alcool. Le titre alcoométrique volumique de notre distillat oscille entre 40% et 50%, ce qui le place en-dessous de celui de la grappa. Lorsque nous prévoyons de faire vieillir notre distillat en fûts, nous utilisons une petite colonne de rectification pour en ajuster légèrement le profil.
T.H. : Cependant, vous continuez à produire de la grappa, n’est-ce pas ?
A.M. : Tout à fait, la grappa représente toujours 50% de notre production. Nous sommes fiers de notre marque Grappa 903, bien connue des amateurs, ainsi que de notre grappa Gaiarine. Notre méthode de distillation de la grappa consiste en l’injection directe de vapeur à travers le marc. Néanmoins, notre Prime Uva occupe une place particulière dans notre cœur, car elle offre quelque chose de différent. Les producteurs de distillats de raisin sont relativement rares. Lorsque vous produisez de la grappa, vous n’avez pas le contrôle direct sur la matière première. Les choix sont déterminés en fonction des vins à produire. Les producteurs se concentrent avant tout sur leurs vins, et nous devons respecter leurs décisions. La qualité de la grappa dépend en grande partie de la fraîcheur du marc.
L’esprit innovant de la famille Maschio continue de repousser les limites, et chaque génération apporte sa touche personnelle à l’héritage familial. Invitant les amateurs à découvrir leurs produits, Bonaventura Maschio prouve que l’histoire de la distillation peut être à la fois traditionnelle et résolument tournée vers l’avenir.
Thierry Heins